samedi 16 avril 2011

Sciences morales, Martin Kohan,



Et si les plus grands livres étaient ceux qui mettent en scène une oie blanche qui découvre la corruption du monde, alors Sciences morales serait un très très grand livre. Roman argentin, Sciences morales a dû être publié parce que Buenos Aires était l'invité du Salon du livre, ce qui donne une justification à ce grand barnum vain et ennuyeux qui se tient chaque année Porte de Versailles. Merci le salon, merci le Seuil et merci aux libraires de la librairie de l'atelier qui avaient invité l'auteur ce qui m' a permis d'acheter ce livre.
Soit l'histoire de Maria Teresa, une jeune femme, surveillante dans un prestigieux lycée argentin alors que dehors la guerre des Malouines commence, une guerre que son drôle de frère est parti faire. Voilà maria Teresa seule avec sa mère dépressive et ses élèves de la troisième section dix. Zélée, la surveillante découvre bientôt qu'un des garçons sent le tabac et décide de mener l'enquête.. dans un endroit singulier : les toilettes des garçons du lycée.
Le style de Kohan est très clinique, au plus proche des faits et du monde matériel, avec très peu d'indication des sentiments (un trouble ici ou là), il raconte les heures passées par cette jeune femme enfermée dans un wc à la turque. Drôle de sujet, et pourtant ça tient, ça marche, le malaise est palpable, d'autant que le lecteur est dans une position symétrique, observant ce personnage enfermé dans un cabinet.
C'est aussi d'érotisme qu'il est question, car la surveillante connaît un certain trouble à imaginer ce que font les garçons avec « cette chose qu'ils ont » comme elle dit, notamment un des élèves qui porte le même parfum que son frère. La dictature qui mène les jeunes garçons à la guerre est la même qui empêche la narratrice de nommer le sexe des hommes et qui la conduit vers une tragédie intime. En effet, le surveillant général réputé avoir participé à une opération de répression dans le passé s'intéresse de près à cette jeune fille, que personne d'autre ne remarque. Ensemble, ils se retrouvent dans un café, loin de la place. Un temps, Maria Teresa imagine qu'il pourrait être l'homme de sa vie. Mais le romantisme s'invite rarement dans les toilettes. Pourtant, le roman s'achève sur une touche plutôt optimiste, lié à la défaite argentine aux malouines et à la chute du régime politique.
Pour ne dire qu'une chose du talent de Kohan, j'évoquerai le frère de Maria Teresa. Il doit avoir à peine vingt ans et très peu de choses sont dites de lui. Il envoie régulièrement des cartes postales qu'il signe de son seul prénom et pourtant il est terriblement présent. Plutôt réussi.
Enfin, il faut féliciter le travail des éditions du seuil : rarement j'ai vu une couverture aussi bien résumer le contenu d'un livre.
Dernier point : peu de psychologie dans ce livre et ça fait du bien mais du bien.

éditions du Seuil 19,50

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