dimanche 17 avril 2011

Tu verras Nicolas Fargues


De Nicolas Fargues, j'ai lu plusieurs romans, dont le meilleur reste Rade Terminus - ce récit sur les relations Nord Sud, vus depuis Madagascar - suivi de Beau rôle. D'autres m'ont paru beaucoup moins intéressants, c'est mon problème.
Le thème de Tu verras m'intéressait parce qu'il révèle ce talent qu'a Fargues d'aller creuser des territoires vierges : un père confronté à la mort de son fils ado . De ce côté là le roman est plutôt réussi. La bonne idée est d'avoir « fait mourir » Clément à l'âge où il commence à emprunter son propre chemin. La séparation définitive est d'autant plus forte que le père et le fils commençaient à s'éloigner, le teen ager ayant le mauvais goût aux yeux de son père de préférer le rap à Georges Brassens et la mauvaise habitude de porter son jean un peu trop bas.
Là où on retrouve aussi la patte de Fargues c'est dans sa description au vitriol des uns et des autres, notamment de l'entourage propre. Il possède une sorte d'acide pour décrire les lâchetés des uns et des autres. Tel est un des talents de Nicolas Fargues : cette aptitude à voir ce qu'il peut y avoir de minable chez les uns et les autres. Cet auteur a une sorte de caméra infra rouge pour repérer les égoïsmes cachés, du collègue gêné à la petite amie odieuse... Et pour la formule choc, « à défaut d'amour, une longue douche c'était déjà ça. »
Là où ça se gâte, c'est dans le déroulé du roman. Plus fabriqué que ce « tu verras » c'est difficile. Un roman est construit, c'est même son principe, le problème c'est quand on voit encore l'échafaudage ou les coutures au fil blanc. Résumons ce que l'auteur et l'éditeur pensent être une intrigue : le père est malheureux, il va à l'incinération de son fils où il revoit son ex femme, il plaque sa copine vraiment trop égoïste (sa femme en pire), retourne au travail, et erre avec sa voiture, jusqu'à une banlieue où forcément il rencontre un un gars dont l'oncle est marabout en Afrique. Il voit aussi deux témoins de la mort de son fils, un premier aussi lâche que le reste de l'hmanité et un second, une femme africaine, bien sûr pleine de sensibilité et d'empathie, mais sans en faire trop.. Je résume la suite : il finira par partir en Afrique voir l'oncle marabout du copain du vendeur de shit et tout finira par cette phrase sublime : « mon écran où ne s'affichait plus rien, ressemblait à une page blanche mais rétive à toute inscription ». Ce genre de formules constitue le second problème du roman : parlant du chagrin « j'ai laissé sortir par mes yeux et ma bouche cette irrésistible montagne dont je ne savais si elle restait à gravir ou si j'en approchais enfin le sommet », une métaphore qu'il utilise à plusieurs reprises. Il a raison, elle est tellement réussie ! Quand il va en Afrique, le personnage principal a des réflexions d'une puissance redoutable : « Il (un jeune africain) mourra sans doute (on sait jamais faut être prudent) sans jamais avoir enfilé une doudoune ni un passe montagne de sa vie ». Au moins, la mort de son fils l'a rendu lucide. Et ma préférée pour son audace électrique : « Il me semblait que toute ma détresse trouvait sa résolution dans ce paysage nouveau et impartial, ni compatissant ni indifférent, un peu comme une prise terre prévient un appareil électrique défectueux d'un accident fatal ».
L'auteur aurait beau jeu de dire que c'est le personnage qui parle, qu'il est maladroit, qu'il a une certaine pauvreté à exprimer ce qu'il ressent. Je lui répondrai que le personnage c'est l'auteur qui le crée et qu'il n'a qu'à se débrouiller pour avoir un style original qui réussisse à rendre sa banalité, qu'écrire un roman c'est prendre parti et que l'ironie qu'il utilise parfois avec talent (dans rade terminus) est un moyen de prendre position, pas de se cacher derrière son petit doigt. Car le malaise du roman vient du sujet trop grave qu'il aborde par rapport à ses moyens littéraires au moment où il écrit (n'insultons pas l'avenir). Il excelle à décrire le monde parisien, les lâchetés et les compromissions quotidiennes, c'est aussi un très bon observateur de la ville et du monde, c'est incontestable et ce livre le prouve, la première centaine de pages est de bonne facture.
Reste que face à un sujet aussi difficile, il ne brise pas l'armure et reste dans ce qui pourraient être des trucs. Les prochains livres de Nicolas Fargues que je lirai le diront..

Editions Pol 15,50 euros

Pour info : une critique plutôt favorable d'un critique que j'aime bien

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