dimanche 28 mars 2010

L'horizon Patrick Modiano




Depuis qu'une prof de français a eu la bonne idée de me faire lire rue des boutiques obscures de Modiano en classe seconde, j'ai toujours suivi de près cet auteur qui est un des rares contemporains dont j'ai sinon tout lu, pratiquement tout lu.
Les amateurs y retrouveront tout ce qu'ils aiment chez Modiano. Pour tout dire, au début cela m'a énervé. Chez Modiano, les carnets sont forcément en moleskine ( on doit lire au moins 4 fois ce mot dans ce livre là), les canapés en skaï et les chemisiers en rayone. Il n'empêche qu'une fois passé ces réticences, la magie opère toujours.
Première nouveauté : Internet. Depuis rue des boutiques obscures, les héros modianesques passaient leur vie dans des bottins à rechercher des traces, des souvenirs de personnages croisés dans le passé. Désormais, le narrateur peut utiliser Internet pour accomplir ses tâches, mais cela ne change rien au rythme de sa recherche. Nouvelles techonologies ou pas, le temps de modiano est celui de la mémoire, des concordances et des correspondances, des échos du temps passé, avec cette question obsédante : que reste-t-il de ce que nous avons vécu ? Quelle trace laisse un individu ?

Ici le narrateur se remémore un épisode de son passé, une jeune femme croisée et aimée Margaret Le Coz, une bretonne née à Berlin, venue à Paris en passant par Genève, fuyant un homme qui la poursuit pour d'obscures raisons. Tout le génie de Modiano est qu'à mesure qu'on progresse dans l'intrigue, qu'on croît mieux comprendre les personnages, le mystère s'épaissit. S'il éclaire davantage un point, c'est pour plonger encore plus le reste de la scène dans l'ombre. Que sait-on au départ de Margaret ? Pas grand chose. Et à la fin du livre ? Guère plus. Les motivations du narrateur resteront tout aussi clair-obscures. Qui est ce jeune homme qui travaille dans une librairie où il n'y a plus de clients, sauf un étrange médecin qui a appartenu à la rue Bleue, et poursuivi lui aussi dans la rue par un drôle de couple composé d'une femme qui se dit être sa mère et d'un prètre défroqué ? Un passage résume tout Modiano : « D'ailleurs était-ce vraiment elle ? Mieux valait ne pas en savoir plus. Au moins avec le doute, il reste encore une forme d'espoir, une ligne de fuite vers l'horizon ». L'ignorance comme moyen de continuer à pouvoir vivre. Le mystère Modiano c'est aussi cette capacité à faire du flou en utilisant un langage des plus précis et les moins ambigus. Du très grand art.
Après les premières pages qui m'ont agacées (le côté Moleskine du livre, Modiano fait un magnifique portrait de femme, celui de Margaret Le Coz, une petite soeur Des inconnues, un receuil de nouvelles qu'il avait écrit et qui réunissait trois portraits de femme. Il sait mieux que personne peindre ses femmes emprisonnées par leur destin. Volant être libre, mais n'y réussissant pas tout à fait, comme s'il existait une corde de rappel leur interdisant de prendre complètement leur envol. Margaret Le Coz est de celle-là.
Reste que sans rien révéler du dénouement, ce Modiano là tranche. S'il part d'une introspection du passé, il n'interdit pas le présent d'être peut-être, alors que jusqu'à maintenant, le passé dans les romans de Modiano était toujours fini et ne laissait aucun espoir pour aujourd'hui..

Christophe Bys


Gallimard 16,50 euros

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