dimanche 4 novembre 2012

Aurélien Bellanger La théorie de l'information NRF Gallimard

Ce pourrait être le roman à sensation de cette saison : son héros, Pascal Ertanger, aurait été inspiré par un des grands tycoon de l'Internet français, murmure-t-on dans les milieux où l'on sait... Soit un jeune homme asthmatique de la classe moyenne, grandi du côté de Vélizy, qui devient un multi milliardaire, à mesure que la France passe du Minitel au web 2.0. Roman marxiste (??) où l'évolution technologique est le moteur de l'histoire, la théorie de l'information est, en effet, composée de trois parties, chacune nommée par un mode de communication (Minitel, Internet, 2.0). Au premier abord, la théorie de l'information apparaît comme un roman quelque part entre Balzac et Citizen Kane, soit le portrait de l'ascension d'un personnage, le fameux Pascal Ertanger, le roi des geeks, qui débuta dans une chambre de bonne, puis dans une cave (aux Etats-Unis, les mythologies passent par le garage), avant de devenir le pdg tout puissant. Dans ce registre biographique, on pense au film The social network, tant notre empereur des télécoms qui fit sa fortune en mettant les gens en relation à tout de ce qu'on appelle un sociopathe, inapte en apparence à tisser des relations sociales, qui n'ont pas pour fondement l'informatique, puis, peu à peu, son entreprise. Dans la lignée de ces personnages à biographie, on retrouve aussi à l'absence de sens moral du personnage, qui ne semble pas gêner de traiter avec un truand de la rue saint-Denis, mêlé à des affaires de proxénétisme sans s'en rendre compte, tant le personnage semble tout ignorer du bien et du mal, du licite et l'illicité, à moins qu'il ne soit codé en une série de 0 et de 1... A cela, un traumatisme initial, lors d'une traversée nocturne du bois de Boulogne avec son père « Pascal ressentit une pitié très forte pour l'espèce humaine, une pitié proche de l'euthanasie – il aurait voulu que le spectacle des corps suppliciés soit définitivement aboli. » On notera le très biologique espèce humaine, préférée au terme « humanité ». Rien d'étonnant, car très vite, c'est à un autre romancier français que fait penser la théorie de l'information : Michel Houellebecq, auquel Aurélien Bellanger à d'ailleurs consacré un essai. La théorie de l'information est à la cybernétique ce que les particules élémentaires étaient à la génétique. Même technique narrative : le récit principal est entrecoupé de sortes de fiches, écrites en italique, reprenant les principales étapes de la pensée de l'informatique, de la thermodynamique et du cyber. Pour ce que j'en ai compris, la théorie de l'auteur est assez proche de celle de Houellebecq : la technique est le meilleur moyen de se débarraser de l'Homme, d'en finir avec l'héritage humaniste de la modernité pour basculer dans un monde post humain, sans douleur puisque complètement technique. A l'image de son créateur Erlanger ? Si ces passages peuvent être sautés sans grand dommage pour la compréhension de l'intrigue - car prévenons les lecteurs les moins versés dans ces matières, elles sont ardues – ce serait cependant dommage, tant la science à ce niveau a des allures de poésie. J'ai adoré apprendre l'existence de la boite de Shanon, une invention qui est la plus belle oeuvre d'art contemporain dont j'ai jamais entendu parler : « Quand on bascule l'interrupteur sur la position on, un bras articulé sort d'une trappe, vient remettre l'interrupteur en position off, et disparaît. L'univers est peut être une extrapolation de cette machine ». Poésie que manifeste l'auteur à plusieurs reprises (trop rares à mon goût). On retrouve aussi la passion de l'auteur de Plateforme pour la description très précise des forces économiques et techniques. Par moments, on a quasiment l'impression des mémorandums du ministère des télécoms, tant le monde matériel passionne de façon évidente Aurélien Bellanger. Là aussi, certains lecteurs risquent d'être gênés par ces passages parfois ardus. Ertanger, (on pense aussi au héros camusien au R près) rencontrera aussi une jeune femme, Emilie, qui semble toute droite sortie d'un roman de Houellebecq, passée directement du métier de danseuse dans un peep show de la rue Saint-Denis à Grand Amour du héros. Roman patchwork donc forcément inégal, La théorie de l'information déroutera les lecteurs habitués à des récits linéaires. Il aurait sûrement gagné à être plus homogêne, les parties sur l'évolution des télécoms en france aurait gagné à être intégrés à l'intrigue principale. On l'aura compris : le portrait de l'Howard Hugues des télécoms français est très réussi, Ertanger finissant dans un manoir de la région parisienne. Aurélien Bellanger, dont c'est le premier roman, doit être suivi : il gagnera à mesure qu'il écrira plus simplement, qu'il fera moins son intéressant, comme on dit chez moi. Car il possède un vrai talent d'écriture notamment : le dialogue entre Ertanger et Nicolas Sarkozy (un monologue de ce dernier) est plus vrai que nature, on a l'impression d'entendre parler l'ancien président, même si on ignore si cette rencontre est ou non imaginé. On retrouve aussi chez lui un vrai talent de sociologue avec des formules qui font mouche, comme quand il parle de la classe moyenne, « elle ne connaissait qu'elle même et se croyait illimitée. Elle considérait la classe populaire comme profondément malchanceuse, ridicule ou tarée, la bourgeoisie comme exemplaire, plaisante et rationnelle. La première n'existait pas en tant que classe, mais en tant que catégorie morale : elle était la conséquence d'un certain nombre de mauvais choix. La seconde, concédée par snobisme, n'était pas plus réelle : c'était soi même en mieux. » Bien des livres de sociologie n'en ont pas dit beaucoup plus sur la classe moyenne. Ou cette analyse « Au final, l'époque adopta le slogan : « Plus jamais ça ! » avec un ça infiniment extensible, grand comme la chasse à la baleine ou ramassé comme une balle dans la nuque d'un résistant ». Que Bellanger oublie Houellebecq et fasse du Bellanger est le meilleur conseil à donner à l'auteur de ce premier roman, pas complètement abouti mais tellement ambitieux qu'on lui pardonne toutes ses maladresses.

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