dimanche 4 novembre 2012

Marc Durin-Valois La dernière nuit de Claude Eartherly Plon

Attention, grand, très grand roman de forme classique et d'une très grande profondeur de champ (la narratrice est photographe). Ça commence comme un mauvais film américain ou un polar de série B. Une jolie blonde au Texas qui veut devenir photographe et sillonne l'Etat son appareil photo à la main, de tribunal en tribunal, sans oublier la case shérif, jusqu'au jour où une source lui signale le cas d'un homme qui n'est pas qu'un délinquant.. il a participé à l'attaque d'Hiroshima, dans un premier avion pour vérifier les conditions de visibilité avant qu'un deuxième avion ne largue la bombe atomique. Claude Eatherly a vraiment existé et il a effectivement participé à ce bombardement. Rose Calter, la photographe, va se rapprocher et enquêter sur ce drôle de personnage qui navigue entre tribunal, prison et hôpital psychiatrique, entre manipulation (il n'authentifiera jamais le texte qu'il aurait écrit pour décrire ce qui s'est passé ce jour-là) et culpabilité. Si le roman n'était que cette enquête, il serait déjà très bon, tant Durin-Valois excelle décrire ce personnage aux multiples facettes, joueur, grande gueule, et qu'on imagine pourtant d'une séduction totale. « En vérité, chaque fois qu'une vérité paraissait s'imposer concernant le pilote, elle se révélait inadaptée. En tout cas insuffisante ». Le mystère de cet homme cabotin, furieux de ne pas avoir été dans l'avion qui a largué la bombe, qui lui aurait assuré la célébrité et pourtant transpirant le mauvaise conscience, demeure à la fin du livre. Mais il est moins épais, un écrivain est passé par là. Surtout, l'enjeu narratif se déplace peu à peu parallèlement. On croyait lire une enquête sur un personnage historique et on réalise que c'est aussi l'histoire de l'opinion publique face au nucléaire qui est ici raconté (et on s'étonne que personne à ma connaissance n'y ait pensé avant). On ne sait plus aujourd'hui, qu'après guerre, il y eut une véritable fascination pour le nucléaire. Pour preuve, l'existence des atomic pique nique qui se tenaient dans les années 50 du côté de las Vegas, où des familles entières venaient déjeuner en regardant au loin l'effet dans l'atmosphère des essais qui se tenaient alors dans le désert du Neveda. « L'image du champignon d'Hiroshima bénéficiait d'une troublante popularité (une centaine de sociétés commerciales en avaient fait leur logo au lendemain de la victoire » », rappelle Marc Durin-Valois. Plus tard, le mouvement pacifiste tentera d'enrôler Claude Eatherly. Le plus troublant dans ce portrait est de voir à quel point personne n'aura finalement su aider ce drôle de personnage. Pas même l'institution psychiatrique qui usait alors de remèdes d'une terrible brutalité, à base d'overdose de glucose (si ma mémoire est bonne), pour quasiment provoquer des comas artificiels, espérant ainsi re programmer le patient, qui méritait alors véritablement son nom. Ceux qui ont déjà lu des romans de Marc Durin-Valois retrouveront dans ce roman là, les thèmes qui ont fait ses premiers romans : les formes prises par la violence. Dans le cas de la bombe atomique et du destin de ce personnage, il est paradoxal de voir finalement la plus grande sophistication technologique cohabiter avec les pulsions les plus reptiliennes de l'espèce.. Une des réussites du récit est, enfin, sa forme. Si de premier abord, la jeune texane, journaliste soumise à un patron de presse plus vrai que nature (il y a dans ce livre de très bons passages sur ce métier, où les erreurs publiées dans un premier article sont reprises par tous les autres) a des allures de cliché, cela importe peu. Car c'est bien le cliché d'une Amérique heureuse que démonte ce roman, une nation « capable de lutter pour la liberté avec une abnégation magnifique et, dans le même temps, de massacrer des populations civiles sans la moindre pitié, comme à Hiroshima, au Vietnam ou il y a bien longtemps aux Philippines ». Et peu à peu, le personnage de Rose prend de l'ampleur, et, à la fin du livre, elle devient presqu'en creux la véritable héroïne de ce roman décidément réussi. Pourquoi s'est-elle autant investi pour connaître qui savoir qui était vraiment Claude Eatherly ? Qu'a-t-elle fui ? N'a-t-elle pas finalement raté sa vie à force de vouloir comprendre un homme hors norme, qui lui restera toujours étranger ? « je me suis dit que c'était peut-être cela la vieille : l'art de visiter le musée des autres où sont accrochées les oeuvres que l'on ne fera jamais. Et puis de s'en retourner au sien, peuplé de rêves suspendus », écrit-elle à la toute fin du livre. Rarement, la photo sur le bandeau d'un livre aura été aussi bien choisie. Deux personnages marchent dans un paysage en ruine. A droite une femme, s'abrite sous une ombrelle, dérisoire protection après l'explosion de la bombe atomique. Un dernier mot : si ce roman là n'a pas un des grands prix de la rentrée, c'est une confirmation : les jurés ne savent pas lire !

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